20

Elle arriva à San Diego par une journée de chaleur étouffante. Un vent venu de la mer courbait les palmiers, soulevait des nuages de poussière au coin des rues, gonflait les auvents et faisait osciller dangereusement les panneaux indicateurs. Des voitures rondes et luisantes glissaient paresseusement dans les avenues. Un DC3 de la Pan American descendait vers l’aéroport, et les rayons du soleil illuminaient le métal nu de ses ailes.

Elle avait une clé en main et courait vers une rangée de voitures garées en diagonale le long du trottoir. Elle était hors d’haleine, son dos et ses jambes lui faisaient un mal de chien. Elle eut un mouvement de recul mental, et peut-être même physique, en prenant de plein fouet l’impact des souvenirs collectifs qui formaient le scénario. Elle avait trop chaud, le vent lui coupait le souffle et une poussière en suspension dans l’air rentra dans son œil. Elle voulait conserver sa propre individualité, ses propres réactions, et se retourna assez vite pour voir l’un des immeubles clignoter avant de se stabiliser pour de bon sous ses yeux.

Elle se dirigeait vers un break Chevrolet bleu et argent, mais à nouveau elle résista à cette impulsion et préféra se diriger vers la Ford verte garée juste à côté. La portière était verrouillée et la clé qu’elle tenait refusa d’y entrer. Elle y renonça et repartit vers la Chevrolet. Celle-ci n’était pas verrouillée : elle put donc se glisser sur la banquette avant et étirer confortablement son corps volumineux avant d’engager du premier coup la clé de contact dans son logement.

Quelques instants plus tard, elle arpentait la 30e Rue en direction du nord et virait à droite pour aborder University. Peu de temps après, elle arriva à l’immense croisement de Wabash Boulevard, où elle tourna à droite et accéléra pour prendre la vitesse du trafic. Les rayons du soleil lui cuisaient les bras et le visage. Elle remonta la vitre et rabaissa la visière pour s’en protéger.

Elle ouvrit la boîte à gants et en tira le pistolet automatique qui s’y trouvait. Sans lâcher son volant, elle vérifia qu’il était bien chargé, puis le posa sur le siège à côté d’elle. Elle alluma la radio : l’orchestre de Duke Ellington jouait Newport Up.

Elle s’étira sur son siège, tendit les bras, reposa sa tête sur la banquette et continua son chemin ainsi, avec la radio allumée, éclairée par le soleil, bercée par le doux grondement du trafic des années 50 qui s’écoulait tout autour d’elle.

Quelques instants plus tard, elle vit les lumières clignotantes annonçant le barrage de police. Les voitures viraient vers la gauche pour éviter la déviation, mais elle ralentit et actionna son clignotant droit, puis se dirigea vers le cordon de police. Teresa tenta de résister au scénario. Elle tourna violemment le volant vers la gauche, franchit les voies et s’éloigna de la barricade. L’un des policiers, qui s’était avancé dans sa direction dès qu’elle avait actionné son clignotant, leva le bras et lui cria quelque chose.

Teresa accéléra en regardant les collines qui s’étendaient devant elle, jaune et brun et piquetées d’arbres verts, luisant dans la clarté éblouissante du soleil. En quelques secondes, elle fut bien loin du barrage. Elle ne décéléra pas pour autant et laissa l’énorme moteur prendre de la vitesse à son propre rythme régulier.

Elle baissa alors les yeux, réalisant qu’elle portait les vêtements d’une autre. Elle était grosse ! Elle était affreusement mal fagotée ! Ses bas étaient filés ! Elle se pencha pour jeter un coup d’œil dans le rétroviseur et vit le visage d’une grosse femme noire entre deux-âges à la mine vaguement soucieuse.

Teresa sourit à son propre reflet.

« Salut, Eisa ! » fit-elle à voix haute.

La route se fit droite comme un I. Il n’y avait pas une maison, pas un bâtiment en vue ; des deux côtés s’étendait un sol plat et monotone piqueté de buissons.

Elle continua son chemin plusieurs minutes durant en scrutant avec intérêt le paysage pour voir comment il allait évoluer, mais maintenant elle était bien loin de la ville et il n’y avait plus grand-chose à voir. Il n’y avait pas d’autre véhicule en vue. De chaque côté de la route, le sol rocailleux et les buissons gris-vert se fondaient en une masse uniforme sous l’effet de la vitesse. Au loin, elle vit des montagnes et des nuages blancs. Le soleil était si haut dans le ciel qu’il semblait ne pas projeter la moindre ombre.

Finalement, Teresa comprit qu’il ne se passerait rien de plus. Le paysage resterait le même.

Elle vira vers la droite pour sortir de la route, mais la voiture se contenta de bouger de quelques centimètres. Il n’y eut pas un cahot alors que les pneus abordaient le talus rocailleux, comme s’ils ne le touchaient pas.

Dans le rétroviseur, Teresa vit les immeubles de San Diego massés sur le rivage. Elle se rappela alors ce que signifiait l’acronyme LIVER.

 

Elle arriva à San Diego par une journée de chaleur étouffante et se dirigea tout droit vers la Chevrolet bleu et argent garée en diagonale contre le trottoir. Elle glissa du premier coup la clé de contact dans son logement.

Quelques instants plus tard, elle arpentait la 30e Rue et virait à gauche au croisement avec University. La voiture s’était déjà engagée dans la file de droite, mais Teresa la fit virer de force pour aller de l’autre côté. Un concert de klaxons se déchaîna tout autour d’elle. Maintenant, elle roulait face au soleil ; elle baissa le pare-soleil pour protéger ses yeux.

Elle ouvrit la boîte à gants et en sortit le pistolet automatique qui s’y trouvait. Tout en conduisant, elle vérifia qu’il était chargé, puis le posa sur le siège, à côté d’elle. Elle alluma la radio ; l’orchestre de Duke Ellington jouait Newport Up.

Elle se pencha pour jeter un coup d’œil au rétroviseur intérieur ; elle vit le visage d’une femme noire entre deux âges qui la regardait d’un air vaguement soucieux.

Teresa sourit à son propre reflet.

« Salut, Eisa ! » dit-elle à voix haute.

De chaque côté de la rue, protégés par des palmiers, s’étendaient des lotissements résidentiels qui défilaient, uniformes. Devant elle, l’océan luisait doucement. Au bout de quelques minutes de route, comme l’océan restait à la même distance, elle se rappela ce que signifiait l’acronyme LIVER.

 

Teresa passa le reste de sa journée à apprendre comment manipuler le catalogue informatisé des titres ExEx disponibles. La première information utile qu’elle put y glaner fut que le shareware d’Eisa Durdle avait été rédigé par une organisation du nom de SplatterInc, basée dans la ville de Raymond, Oregon. Elle demanda à Patricia si elle les connaissait.

« C’est probablement une personne plus qu’une organisation, répondit-elle. Sans doute un gamin dans un minuscule bureau qui a téléchargé un logiciel d’images via Internet. Quiconque dispose d’assez de mémoire vive peut concocter un de ces scénarios.

— Ainsi, il n’y a pas moyen de découvrir l’origine de ces visuels ?

— Pas avec le peu d’informations dont nous disposons. Vous pouvez toujours les appeler, ou leur écrire. Ils ont une adresse e-mail ?

— Juste une boîte postale à Raymond.

— Avez-vous essayé de faire une recherche sur le web ? Ils doivent avoir leur site.

— Pas encore. »

Teresa retourna à la banque de scénarios et tapa ses paramètres de recherche. Quelques instants plus tard, la liste des titres proposés par SplatterInc défila sur l’écran. Teresa parcourut les sections.

Elle repéra le scénario d’Eisa Durdle et, de là, trouva le groupe et la catégorie de référence : INTERACTIF/POLI CE/MEURTRE/ARMES À FEU/WILLIAM COOK/ELSA JANE DURDLE.

Teresa commençait à maîtriser le système ; elle repartit en arrière dans la hiérarchie des sous-catégories. Les alternatives à ARMES À FEU étaient AUTOMOBILES, BOMBES, MATRAQUES, MAINS NUES et ARMES BLANCHES, et chacune comportait ses propres hyperliens qui devaient déboucher chez d’autres fabricants de logiciels.

Les alternatives à MEURTRE étaient INCENDIE CRIMINEL, PRISE D’OTAGE, ATTAQUE À MAIN ARMÉE, VIOL, et SNIPER. À nouveau, il y avait une pléthore d’hyperliens. POLICE offrait une longue liste de catégories qui déferlèrent sur l’écran : les alternatives proposées comprenaient ARTS, AVIATION, CINÉMA, SEXE, ESPACE, SPORT, VOYAGES, GUERRE.

Pour s’amuser, elle cliqua sur Sexe et fut étonnée du nombre d’options, toutes avec moult hyperliens qui s’offraient à elle : AMATEURS, ANAL, ASTRAL, BESTIAL, BONDAGE, DERRIÈRES (TOUTES TAILLES), DERRIÈRES (GROS), DERRIÈRES (GROS PLANS), DERRIÈRES (PETITS), POITRINES (TOUTES TAILLES), POITRINES (GROSSES)

Et ainsi de suite sur des dizaines d’écrans. Elle les fit disparaître d’un clic et jeta un regard furtif de l’autre côté de la pièce pour voir si Patricia la surveillait, mais celle-ci s’occupait d’un client.

Teresa remonta d’un niveau pour passer à INTERACTIF et y trouva la liste des options principales : ACTIF, COLLECTIF, INTERACTIF, INTERVENANT, OBSERVATEUR, PASSIF, PRINCIPAL ACTANT et VICTIME.

Teresa consulta les différents niveaux en s’émerveillant de tout ce qu’on pouvait y trouver. Et tout cela provenait d’une seule et unique organisation du nom de SplatterInc, de Raymond, Oregon. Où pouvait bien se trouver Raymond, Oregon, et qu’est-ce qui pouvait bien se passer dans ce trou à rats ?

Elle attendit que Patricia regarde dans sa direction, puis lui fit signe de venir.

« Vous êtes toujours chez SplatterInc ? demanda Patricia, que la situation semblait amuser.

— Je voulais voir leur catalogue, répondit Teresa. Quelle diversité ! C’est incroyable. »

Patricia jeta un coup d’œil à l’écran.

« Oui, ils ne perdent pas leur temps. Mais ce n’est qu’une PME. Vous devriez voir les listings de certaines grosses boîtes de New York ou de Californie.

— Ces têtes de sections… sont-elles générales ou juste pour l’usage privé des concepteurs ?

— Tout le monde s’en sert. Si vous voulez en voir le bout, vous pouvez télécharger tout l’index.

— Et tout est en shareware ?

— Du moins les programmes de SplatterInc. Ces gens vous intéressent ? Où est-ce le shareware en général ?

— Je ne sais pas. Pour l’instant, je me contente de regarder. Je veux juste évaluer l’étendue de ce qui est disponible.

— Il y a de quoi faire.

— Je commence à m’en apercevoir.

— Vous savez, il vaut mieux ne pas trop compter sur le shareware. Cela peut vous revenir cher : tout ce que vous devez payer, c’est la location des machines. La plupart des gens nous achètent un des packages disponibles sur le marché, puis se servent du shareware comme d’un complément. C’est ce que je vous ai montré l’autre jour, vous vous rappelez ? Vous pouvez prendre une des chaînes télévisées, ou choisir parmi les grandes compagnies pourvoyeuses de logiciels ou, bien sûr, opter pour un de nos propres modules. Ou vous pouvez faire comme l’autre jour : choisir une catégorie, puis effectuer une recherche aléatoire pour confectionner votre propre anthologie. Nous avons tout un catalogue d’échantillons de scénarios. »

Teresa se détourna de l’écran.

« À vrai dire, je ne sais pas par où commencer. Tout cela est si déroutant.

— Peut-être voulez-vous emporter une de nos brochures pour la consulter tranquillement chez vous ? Vous pouvez vous servir parmi celles qui sont là-bas.

— Je vous fais perdre votre temps, dit Teresa. C’est bien ce que vous essayez de me dire ?

— Non… mais mon travail est de m’occuper des clients une fois qu’ils ont sélectionné leur programme et de m’assurer que nos équipements fonctionnent correctement. J’entrevois vaguement ce que vous cherchez, mais pas assez pour vous aider. Il faut vous adresser à M. Lacey ou à l’un de ses assistants : eux sauront vous aider à choisir parmi les packages que nous avons en magasin. La plupart des gens ne savent ce qu’ils cherchent que lorsqu’ils l’ont trouvé.

— Je commence à comprendre pourquoi.

— Je croyais que vous vous intéressiez aux armes à feu. Comme beaucoup de nos clients.

— Mon intérêt est purement professionnel.

— Alors pourquoi ne pas acheter un cours de tir progressif ? Les nôtres comprennent des exercices sur cible, des scénarios de neutralisation et d’arrestation, vous pouvez choisir entre terminal ou non terminal, et vous avez accès à tous les scénarios. C’est avec ce genre de produits que nous faisons l’essentiel de notre chiffre d’affaires.

— Et pour cela, il faut que je demande à M. Lacey ?

— Je vais tout arranger, fit Patricia en souriant.

— D’accord. Merci. » Teresa regarda l’écran, où les scénarios s’étendaient avec un luxe de détails proche de la maniaquerie. « Cela ne vous gêne pas si je continue mes explorations ?

— Je vous en prie. »

Les Extrêmes
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